Photographier la vie, vivre ce qu'on photographie. On m'a parfois reproché de faire mes photos pour chopper des nana. Dans un premier temps j'ai été révolté par cette accusation, je ne photographie pas pour une autre raison que de produire des images. Avec le temps j'ai pris conscience que cette accusation n'était pas forcément dénuée de toute vérité, et j'ai brandi sur ma page d'accueil cette petite phrase « je photographie pour vivre ce que je photographie ».

Je ne photographie pas « la vie » ou plus précisément je ne photographie pas la vie exempte de l'acte de photographier. Je provoque des situations que je vais vivre afin de les photographier. Quand je photographie je n'ai pas ou très peu de plan établi, il n'y a pas de storyboard, pas de scénario établi. Tout va se dérouler en direct, cela sera peut-être une aventure personnelle intense, ou peut-être quelque chose qui se rapproche plus d'une séance photo traditionnelle. Il y aura sûrement un point de départ, une amorce, un élément déclancheur. Et puis, la vie prend le dessus.

Bien sûr ce n'est pas la vraie vie, mais c'est plus vécu qu'une séance photo traditionnelle où il existe un backstage où se vivent des choses différentes de ce qu'il se passe sous l'objectif de l'appareil photo. Ce n'est pas vraiment non plus une performance dans la mesure où l'évenement se déroule dans un espace privé, où la présence d'un public n'est pas souhaitée. Cependant le mode de la performance est celui qui se rapproche le plus de mes séances photos.

Mais surtout la séance photo n'est pas une fiction. Bien sûr le résulta final, le montage des photos réalisé pour finaliser le travail est de l'ordre de la fiction, il y a des coupures dans le temps, des raccourcis, des omissions, une sélection, une remise en œuvre.

Il existe pour moi deux références - contradictoires bien sûr - autour de ma démarche. La plus ancienne est le film de Truffaut, La nuit américaine. Sûrement pour l'imbrication profonde entre le film dans le film et son backstage, mais surtout la présence de Trufaut dans toutes les dimensions - auteur, acteur acteur faisant l'auteur - et cette merveilleuse tirade « les films ce n'est pas comme la vie, les trains arrivent à l'heure... » quand justement la vie vient s'imicer. Il y a ici comme un va et vient irrésolu entre la vie et le cinéma, entre la vie dans le film et la vraie vie - la séquence où l'on voit défiler quelques livres de la bibliothèque de Trufaut - où l'acteur faisant l'auteur rejoint l'auteur faisant l'acteur. L'autre référence plus récente est Antoine D'Agata dont la vie et l'œuvre se confondent, avec le sentiment étrange que des pans entiers de sa vie sont vécus dans le but d'en faire une œuvre photographique, mais où ce scénarion n'est pas joué, les seringues ne sont pas d'eau distillée, la baise n'est pas feinte et les amours sont déchirées, mais l'appareil photo où la caméra sont là ajoutant à la vie la distance photographique. Mais il ne fait pas oublier que D'Agata aussi sort de cet univers d'auto-mise en vie, il revient dans notre monde plus direct, on peut le croiser dans une exposition, il monte ses films, dirige ses workshop, hors de son univers de production photographique, il peut sortir de son enfer photographique.